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Interactions hormonales régulant la nodulation symbiotique et le développement racinaire

Équipe SILEG / Florian Frugier

 

Nous avons montré que les phytohormones cytokinines régulent de façon antagoniste le développement des nodosités symbiotiques et des racines latérales par l'intermédiaire du récepteur CRE1 ("Cytokinin Response 1"; Gonzalez-Rizzo et al., 2006 ; Frugier et al, 2008 ; Plet et al, 2011 ; Laffont et al, 2015). Bien que les rhizobia synthétisent et sécrètent des cytokinines bioactives typiques, leur contribution à la nodulation semble néanmoins plutôt limitée (Kisiala et al., 2013). La voie de signalisation cytokinine / CRE1 régule l'organogenèse des nodosités en modulant le transport polarisé d'auxine (Plet et al., 2011) via l'accumulation de flavonoïdes spécifiques (Ng et al., 2015), provoquant une accumulation locale d'auxines dans les cellules corticales en division associées à la formation précoce des nodosités. CRE1 agit de manière redondante avec d'autres récepteurs des cytokinines de type "CHASE Histidine Kinase" (CHK) dans l'initiation des nodosités, et peut être remplacé par l'homologue le plus proche de la plante aposymbiotique Arabidopsis thaliana (Boivin et al, 2016). Les cytokinines et les récepteurs CHK ont des fonctions divergentes dans les nodosités matures, notamment en ce qui concerne la capacité de fixation d'azote, qui ne peut être assurée par le gène CRE1 d'Arabidopsis. De plus, les cytokinines et la voie de signalisation CRE1 agissent également dans l'épiderme racinaire où elles semblent réguler négativement la signalisation des facteurs Nod bactériens et potentiellement les infections par les rhizobia (Jardinaud et al., 2016).

 

Une combinaison d'analyses biochimiques et transcriptomiques a permis d'identifier dans les racines de M. truncatula des gènes de réponse primaire aux cytokinines dépendant de la voie de signalisation CRE1 (Ariel et al., 2012). Parmi ceux-ci, le facteur de transcription "Nodulation Signaling Pathway 2" (NSP2), dont l'importance pour l'organogenèse des nodosités a déjà été démontrée, a été identifié. Il est intéressant de noter que ce gène est également régulé post-transcriptionnellement en réponse aux cytokinines par une isoforme spécifique de microARN (miR171h). Cette stratégie nous a également amenés à identifier un nouveau facteur de transcription de type "basic Helix-Loop-Helix" (bHLH) (MtbHLH476) comme étant un gène de réponse primaire aux cytokinines impliqué positivement dans la formation des nodosités. Plus récemment, nous avons montré qu'un facteur de transcription "Régulateur de Réponse de type B" (RRB) spécifique, MtRRB3, régule la nodulation et cible les promoteurs de NPS2 et d'un régulateur de la progression des cycles d'endoréduplication, MtCCS52A ("Cell Cycle Switch 52A"; Tan et al., 2020).

 

Ces analyses transcriptomiques ont également permis de montrer que le métabolisme des phytohormones gibbérellines (GAs) était rapidement régulé par les cytokinines. Nous avons ensuite montré que les GAs régulent en effet négativement la nodulation, et notamment les infections par les rhizobia, de manière dépendante des protéines de signalisation DELLA (Fonouni-Farde et al., 2016). Les protéines DELLA présentes dans l'épiderme sont suffisantes pour induire un marqueur d'infection symbiotique, en interagissant avec les composants critiques de signalisation des Facteurs Nod NSP2 et NF-YA1 pour transactiver l'expression du gène ERN1. De plus, l'expression d'une protéine DELLA dans le cortex induit des structures de type nodosité et permet de complémenter le phénotype de nodulation réduite du mutant cre1, indiquant que les protéines DELLA agissent également en aval de la voie des cytokinines CRE1-dépendante (Fonouni-Farde et al, 2017). En accord avec une interaction gibbérellines/cytokinines, les GAs régulent négativement le "pool" et la réponse aux cytokinines, ainsi que la régulation par les cytokinines des gènes de nodulation précoce NSP2 et ERN1. Les GAs régulant aussi le développement du système racinaire, et notamment le nombre de couches de cortex formées (Fonouni-Farde et al, 2019), ces effets pléiotropes empêchent de conclure sans ambiguité quant au rôle de ces hormones dans l'organogénèse des nodosités.


Voies de régulation agissant en aval des cytokinines dans la nodulation. Représentation schématique d'une nodosité symbiotique de M. truncatula, incluant certains composants de la voie de signalisation des Facteurs Nod de Rhizobium (en noir), des cytokinines (en rouge), de l'auxine et des gibbérellines (en bleu). NFP/LYK, Nod Factor perception / Lys-M Kinase receptor ; DMI3/CCaMK, Does not make Infections 3 / Calcium - CalModulin protein Kinase ; NSP2, Nod factor Signalling Pathway 2 ; NF-YA1, Nuclear Factor - YA1 ; ERN1, ERF Required for Nodulation 1 ; ENOD11, Early Nodulin 11 ; DELLAs, protéines DELLA ; CRE1, Cytokininin Response 1 ; RRB, Régulateurs de Réponse de Type B ; RR4, RR de Type A 4; PINs, Pin-formed proteins

 

Au delà du rôle de la voie de signalisation cytokinines / CRE1 dans la nodulation symbiotique, nous avons analysé son implication dans d'autres réponses environnementales racinaires. Alors qu'aucun défaut d'endomycorhization n'a été observé dans les racines du mutant cre1, une tolérance accrue à un stress abiotique (sel) et aux pathogènes racinaires (Ralstonia solanacearum et Aphanomyces euteiches) a été observée (Moreau et al, 2014 ; Laffont et al., 2015). Au delà d'interactions directes entre cytokinines et réponses de défense et de stress, ces phénotypes sont également corrélés avec la capacité accrue du mutant cre1 à former des racines latérales.